A l’ombre du campanile de la Basilique de Sion, sur la rive du Brénon, le petit village de Thorey connut de 1920 à 1924 une certaine effervescence. C’est en effet là, en pleine campagne lorraine, au cœur du Saintois, que le maréchal Hubert Lyautey avait choisi de bâtir un domaine onirique pour finir sa vie avec son épouse Inès de Bourgoing.
Le Château de Thorey-Lyautey offre un cadre enchanteur (Crédits photo : Patrice GREFF pour le Groupe BLE Lorraine)
Le maréchal fit ainsi construire un véritable château du XXème siècle, prolongeant ainsi majestueusement une petite gentilhommière que lui avait léguée sa tante. Cette élégante et étonnante demeure, sans style particulier, associe harmonieusement des éléments Art déco et des réminiscences du Siècle des Lumières, en s’ouvrant sur un magnifique parc à l’anglaise verdoyant de deux hectares. L’intérieur du château recèle bien d’autres secrets et merveilles encore, à l’image de la bibliothèque, riche de quelques 16 000 ouvrages. La partie la plus surprenante de l’édifice sa cache pourtant sous les combles. A côté du salon d’Indochine et de Madagascar, le visiteur se trouve soudainement transporté au Maroc. Divans, tables basses, marqueteries, tapis, dallage ou encore plateaux en cuivre, tout a été mise en œuvre pour récréer avec fidélité et avec le souci du détail l’atmosphère d’un palais de Fès ou de Rabat. A la demande de Lyautey, plusieurs artisans vinrent expressément du Maroc pour assister l’architecte Albert Laprade dans ces travaux. Ce dernier avait en effet participé à l’aménagement de Casablanca quand Lyautey était encore résident général de France au Maroc. L’illusion est parfaite. Le résultat final n’a d’égal que la démesure du lieu.
Monté en grade au sein des corps coloniaux en Indochine et au Maghreb, Lyautey mena au Maroc une politique d’ouverture et de promotion qui n’avait rien de colonialiste. Selon lui, il était primordial que le Maroc demeure un protectorat français et non une colonie. Il entendait ainsi préparer le royaume à l’indépendance. C’est dans cette optique qu’il ordonna la construction d’infrastructures et d’équipements, dont notamment l’aménagement du port de Casablanca, afin d’assurer l’indépendance économique du pays via l’exportation des phosphates.
Né à Nancy en 1854, Lyautey avait été élevé dans la tradition aristocratique. Il ne concevait donc pas de vie sociale sans enracinement. Mais encore fallait-il pour cela être capable de recevoir sur ses terres. Or le château qu’il avait hérité de ses parents à Crévic, près de Lunéville, avait été totalement incendié par les Allemands le 22 août 1914. Ceux-ci auraient en effet voulu se venger de Lyautey à qui ils attribuaient l’échec de la colonisation du Maroc pour leur compte.
Bien que la commune de Thorey-Lyautey ait ajouté à sa dénomination le nom du maréchal à sa mort en 1934, Lyautey, également ancien ministre de la guerre et membre de l’Académie française, reste encore aujourd’hui largement méconnu du grand public. Un oubli parfaitement orchestré par les autorités et le pouvoir.
Malgré certaines contradictions, Lyautey a été de son vivant victime de la malédiction de ceux qui ont raison trop tôt, contestés autant par les envieux que par les sceptiques. Monarchiste affirmé, il se mit pourtant sans état d’âme au service de la République, tout en brocardant dès qu’il le pouvait le régime parlementaire. Officier issu d’une famille de grands soldats, il encensa dans un article sulfureux « le rôle social de l’officier », aujourd’hui enseigné dans les écoles militaires. Le maréchal pris également à contre-courant la défense de Dreyfus. Il écrivait ainsi en 1895 : « L’opinion hurle à la mort contre ce juif, parce qu’il est juif et qu’aujourd’hui, l’antisémitisme tient la corde ». Ses penchants homosexuels affirmés furent également cruellement moqués par Clemenceau. Enfin, Lyautey écrivit à propos de la traduction française du manifeste d’Adolf Hitler, Mein Kampf, éditée avant la Seconde Guerre mondiale : « Tout Français doit lire ce livre. » Il est aujourd’hui avéré qu’il s’agissait d’un avertissement incitant les Français à prendre conscience de la monstruosité du nazisme, et non d’une quelconque caution délivrée au Führer. Les politiques et les médias de l’époque firent quant à eux un bien vil raccourci qui coûta cher à Lyautey.
Labellisé « Maison des Illustres » en 2012, le Château de Thorey-Lyautey est un témoignage inestimable d’une vie et d’un autre temps.
(Source : RL, juillet 2015)