Vaste territoire marécageux, la Plaine de la Woëvre a longtemps repoussé. Cette langue de terre argilo-marneuse qui borde les Côtes de Meuse ne semblait en effet guère propice à l’occupation humaine. D’autant plus que selon la légende, elle était le repère de la Vouivre. Cette créature des marais, mi-femme, mi-serpent, cyclope à l’œil de diamant, serait à l’origine de la dénomination de cette plaine humide qui a su préserver l’atmosphère enchanteresse de la myriade d’étangs qui la compose.
La réserve naturelle de l’Etang de Lachaussée est reconnue à l’échelle internationale (Crédits photo : Lal.sacienne)
L’implantation des moines de Saint-Benoît-en-Woëvre autour du XIème siècle bouleversa pourtant profondément la physionomie des lieux. Bâtisseurs et jardiniers, ces derniers entreprirent alors de domestiquer les milieux humides à des fins matérielles. Les cisterciens ne consomment en effet pas de viande et ne dérogent pas aux périodes de carême. Si bien que la pisciculture s’imposa rapidement comme une alternative particulièrement adaptée au terroir lorrain. Lorsqu’ils rachetèrent l’Etang de Lachaussée, créé en 1273 par le Comte Thiébaut II de Bar, les moines l’aménagèrent en bassin de production. Le site remplit d’ailleurs toujours sa fonction aujourd’hui, sous la houlette de l’Association des Paralysés de France (APF). Propriétaire de ce domaine de 360 hectares situé dans la partie occidentale du Parc Naturel Régional de Lorraine, depuis qu’en 1978 le Comte De Wangen lui en a fait don, l’APF transforme et commercialise le produit de sa pêche.
La vidange précède chaque année la grande pêche d’automne. Cinquante tonnes de poissons, surtout des carpes, sont ramassées dans les filets. La tradition du cycle des assecs contribue également à fidéliser plus de deux cents oiseaux migrateurs friands de ce formidable garde-manger à ciel ouvert qu’offrent les vasières mises à nu entre octobre et mars. L’élégante grue cendrée fréquente ainsi assidûment les lieux. Des migrateurs occasionnels comme les harles ou la buse pattue, qui fuient les grandes vagues de froid au Nord, ou des migrateurs habitués aux lieux comme la cigogne blanche ou noire et la grande aigrette blanche, y font aussi étape.
Bercés par le clapotis, cipres et massettes dessinent les berges et constituent le dernier refuge du butor étoilé, dont le chant caverneux évoque celui d’une corne de brume. Les prairies humides qui bordent l’étang constituent en outre le refuge du busard des roseaux et du balbuzard pêcheur. Riches en invertébrés, notamment de libellules, les vasières accueillent de très nombreuses espèces d’oiseaux. La réserve abrite tout autant d’espèces d’amphibiens, à l’image de la rainette verte ou du triton crêté, ainsi qu’une flore exceptionnelle. Quatre cents espèces végétales, dont onze protégées, y sont en effet recensées. Il est par exemple possible d’y observer la grande douve, belle renoncule à fleur jaune de plus d’un mètre, le séneçon des marées, des roselières ou encore le faux nénuphar qui ondule sur l’eau. L’hiver, les vases exondées deviennent le terrain de prospection de la laîche de Bohème, un minipapyrus qui prospère à la charnière de la rive et de l’étendue plate des limons gorgés d’humidité.
Plusieurs conventions ont été signées, afin de préserver ce site naturel exceptionnel, notamment avec le milieu agricole. L’idée est en effet de limiter l’emprise des grandes cultures en favorisant le maintien des prairies humides qui sont au cœur de cet écosystème sensible. La réserve naturelle de l’Etang de Lachaussée est reconnue d’importance internationale depuis 1991 par la Convention de Ramsar. Elle est également inscrite à l’inventaire Natura 2000. Trois sentiers pédestres balisés et équipés d’observatoires, d’un ensemble de panneaux pédagogiques, d’une table d’orientation et d’une longue-vue panoramique ont été aménagés pour découvrir le site.
(Source : RL du 23/07/2015)