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Le délit de blasphème en Alsace-Moselle

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Le Droit Local en vigueur en Alsace-Moselle demeure une curiosité non seulement pour les personnes qui arrivent d’autres départements mais aussi, bien souvent pour les Alsaciens et les Mosellans eux-mêmes.

On connait les particularités locales sur le régime des cultes et sur le statut scolaire. On connait beaucoup moins les dispositions considérées comme des atteintes aux libertés religieuses. L’Article 166 du Code pénal local (Code pénal allemand) vise les blasphèmes, outrages ou injures. L’Article 167 du même code concerne les entraves au libre exercice du culte. Ces textes, qui n’ont pas d’équivalent dans la France de l’intérieur, font l’objet de peu de jurisprudence et sont souvent confondus.

Ces infractions sont des délits, punis d’une peine d’emprisonnement maximum de trois ans. Aucune peine de prison n’a à ce jour été prononcée mais le Tribunal correctionnel de Metz a appliqué le 21 octobre 1952 l’Article 166 du Code pénal, « considérant que le fait de sonner les cloches, puis de donner un coup au curé en le traitant de « jeune morveux », pendant la cérémonie de baptême, en semaine, dans une église catholique, constituaient des actes injurieux et scandaleux ». Le prévenu fut condamné à 6 000 francs d’amende.

Dans une décision du 30 novembre 2012 sur le régime des corporations obligatoires en Alsace-Moselle, le Conseil Constitutionnel a considéré que l’absence de version officielle en langue française d’une disposition législative portait atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi. A la lumière de la décision du Conseil Constitutionnel et de son commentaire, le gouvernement a procédé à la traduction officielle de nombreuses dispositions allemandes dans un décret du 14 mai 2013. La liste des textes adoptés a été également publiée dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de la Moselle (arrêté du 15 mai 2013), ainsi que dans ceux des préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin (arrêté du 29 août 2013) … en oubliant l’Article 166 du Code pénal local. On peut donc conclure que le délit de blasphème d’Alsace-Moselle, qui est issu d’un texte en langue allemande n’ayant pas fait l’objet d’une publication officielle en français, ce qui lui enlève son caractère opposable, est tout simplement inapplicable.

Bernard ZAHRA, Professeur de Droit en classe préparatoire à l’expertise comptable à Metz, pour le Groupe BLE Lorraine.

M. ZAHRA est l’auteur d’un livre de référence sur les spécificités d’Alsace-Moselle : A la découverte du Droit Local d’Alsace-Moselle (Editions Fensch Vallée).

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3 Commentaires

  1. Groupe BLE Lorraine

    6 janvier, 2016 à 20:42

    Même si les dispositions de l’Article 166 du Code pénal allemand réprimant le délit de blasphème n’ont jamais été expressément abrogées par le législateur, cet article n’est aujourd’hui plus applicable en France. Si en France, ce délit avait été aboli en 1881, en Alsace-Moselle, il figurait encore dans l’arsenal répressif, puisqu’il avait été intégré au Droit Local en 1919. Bien qu’il n’ait jamais été appliqué depuis, ce texte précisait que « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement Dieu par des propos outrageants sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus ».

    En une phrase et en réponse à une question écrite du député communiste du Puy-de-Dôme André Chassaigne, le ministère de la justice vient donc de mettre fin à ce sujet à controverse, applicable uniquement en Alsace-Moselle.

    L’argumentation repose sur la traduction jamais publiée de l’Article 166. Dès lors, comme l’a décidé le Conseil constitutionnel, « l’absence de version officielle en langue française d’une loi est contraire à l’objectif d’accessibilité de la loi ». En outre, ajoute le ministère, « tombé en désuétude », le délit de blasphème doit « être regardé comme implicitement abrogé car contraire aux principes fondamentaux de notre droit ».

    La position des services judiciaires reprend une double préconisation. D’abord, celle des représentants des cultes reconnus, à savoir protestants, catholique et juif, en Alsace-Moselle, qui le 6 janvier 2015, la veille des attentats contre Charlie hebdo avaient préconisé l’abandon de ce délit devant l’Observatoire de la laïcité. Puis, celle de cet Observatoire qui dans un avis publié en mai 2015 avait préconisé de faire « évoluer » le Droit Local, en abrogeant le délit de blasphème.

  2. Groupe BLE Lorraine

    9 janvier, 2016 à 20:21

    Selon l’Institut du Droit Local, le délit de blasphème n’est plus appliqué en Alsace-Moselle. Mais il n’est pas abrogé pour autant. En théorie, il reste donc applicable. Seul le Conseil constitutionnel peut désormais prononcer cette abrogation.

    Selon les recherches de Bernard Zahra, contributeur du Groupe BLE Lorraine et expert en Droit Local, cet article n’a mené qu’à une seule condamnation, le 21 octobre 1952, par le Tribunal correctionnel de Metz. Elle ne concernait pas le blasphème mais un autre versant de l’article, à savoir celui d’avoir « dans une église, commis des actes injurieux et scandaleux. » Le prévenu avait en effet été condamné à 6 000 francs d’amende pour avoir sonné les cloches et donné un coup à un curé en le traitant de « jeune morveux » lors d’un baptême.

  3. Groupe BLE Lorraine

    10 novembre, 2016 à 22:59

    Dans le cadre du projet de loi « Egalité et Citoyenneté », les sénateurs ont dernièrement adopté à la majorité l’Article 38 bis qui abroge le délit de blasphème et harmonise les peines prévues par le Droit Pénal Local (Articles 166 et 167) en cas de troubles du culte sur celles prévues en droit français.

    Rappelons que l’Article 166 du Code Pénal Local prévoit « une peine d’emprisonnement de trois ans au plus » pour « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse ». Le délit de blasphème, qui avait disparu pendant la révolution française, a été définitivement rayé du droit par la IIIème République. En Alsace-Moselle, le texte du Code pénal allemand du 15 mai 1871 a été maintenu après la Première Guerre mondiale. S’il en existe des traductions, l’arrêté du 29 août 2013, portant publication de la traduction de lois et règlements locaux, maintenus en vigueur par les lois du 1er juin 1924, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, a volontairement oublié de traduire l’Article 166 du Code Pénal Local. L’Etat français pensait que, non-traduit, l’Article 166 serait implicitement abrogé car contraire aux principes fondamentaux du droit français. Mais cela ne marche pas comme ça. En effet, un préfet ne peut pas abroger un texte de loi. Les cultes d’Alsace-Moselle ont été consultés et ont donné leur accord devant l’Observatoire de la laïcité et la Commission du Droit Local d’Alsace-Moselle. Celle dernière a rendu un avis favorable pour abroger le délit de blasphème mais pas les autres délits contre la liberté religieuse qui existent en termes différents en droit général et en Droit Local. Le 1er juillet, l’assemblée nationale a abrogé l’Article 166 du Code Civil Local. Elle a changé l’Article 167 qui sanctionne les troubles à l’exercice d’un culte en alignant les peines prévues avec celle du droit général. Cela recréait néanmoins un écart avec la loi de 1905 qui ne reconnaît pas le blasphème, mais punit les pressions et violences contre la liberté religieuse (Article 31) et le délit d’atteinte à l’exercice d’un culte (Article 32). Le Sénat a donc proposé d’abroger complètement les deux articles du Code Pénal Local (166 et 167) et de les remplacer par les Articles 31 et 32 de la loi de 1905. C’est cette solution qui a été adoptée. Comme ce projet de loi suit une procédure accélérée, il n’y a qu’une seule lecture dans chaque assemblée avant la Commission mixte paritaire.

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