Entre les deux petits villages de Tincry et de Bacourt, environ 300 pieds de gentianes jaunes en rangs serrés occupent les cratères et les échancrures qui entaillent la surface sèche et pierreuse du versant Sud-Ouest de la butte calcaire du Haut-du-Mont. Placée en sentinelle en face du front de côtes du plateau lorrain, une telle concentration est très rare, même sur les hautes-chaumes vosgiennes, où la plante est beaucoup plus éparpillée. Il s’agit d’un cas quasi unique sur une surface aussi réduite. Il faut dire que la gentiane jaune est d’ordinaire une plante subalpine.
La gentiane jaune doit sa présence en Moselle au passage d’un régiment bavarois durant la Première Guerre Mondiale (Crédits photo : Wikipédia)
L’histoire des hommes permet d’expliquer l’implantation singulière de cette robuste montagnarde en Moselle. Il s’agit en effet d’une plante obsidionale, terme savant qui désigne la flore apparue ici ou là après le passage des troupes armées. Comme la Lorraine a été le théâtre de nombreuses opérations militaires, sa terre foisonne de bizarreries végétales liées à ces conflits. Phénomène d’autant plus étonnant que beaucoup de ces transfuges ont en profité pour s’enraciner et survivre loin de leur berceau originel. Les gentianes jaunes de Moselle auraient ainsi été amenées par un régiment bavarois qui serait passé dans le secteur au cours de la Première Guerre mondiale.
Jugées stratégiques par l’état-major allemand à l’aube de la Grande Guerre, les moindres élévations géologiques représentaient un enjeu militaire synonyme d’objectif à enlever ou de troupes à déployer selon que la mission consistait à attaquer ou à défendre la position. Dans ce contexte marqué par les Batailles de Nancy et de Morhange durant l’été 1914, les Côtes de Delme et de Tincry jouèrent vraisemblablement un rôle significatif. Selon certaines hypothèses, le site aurait servi d’hôpital de campagne, ce qui expliquerait la présence de cette plante ici. Les Bavarois, comme les Français, connaissaient en effet les vertus phytothérapeutiques de la gentiane. On l’utilisait comme fébrifuge ou remède aux troubles digestifs et ses feuilles pouvaient par simple application aider à dilater et favoriser le drainage des plaies ouvertes tout en accélérant leur cicatrisation. Ses rhizomes sont par ailleurs toujours exploités pour produire de la liqueur apéritive. D’un point de vue médical, la gentiane jaune était donc un bon auxiliaire de santé que médecins et infirmiers transportaient au gré du front.
(Source : RL du 06/09/2014)
Jean-Claude BASTIAN
30 janvier, 2015 à 11:10
Je viens de découvrir cet article qui m’a beaucoup intéressé à divers titres.
L’origine très probable de la gentiane jaune « importée » par les troupes bavaroises fait immédiatement penser à celle tout aussi probable de l’anthurus d’Archer, champignon en forme d’étoile de mer rouge, d’odeur très nauséabonde, d’origine australienne, signalé apparemment pour la première fois au début des années 1920 dans le « Lunévillois » au sens large. Il y en avait des quantités phénoménales dans les années 1980 en Moselle centre notamment, mais je n’en ai guère revu ces dernières années.
La littérature ancienne disait que l’origine probable était la présence de spores de ce champignon dans les effets (chaussures, couvertures de laine,…) de soldats australiens présents dans la région à la fin de la Grande Guerre.
Une littérature plus récente note que ce champignon serait apparu, également dans les années 1920, dans les Vosges dans le voisinage des usines textiles importatrices de laine d’origine australienne.
En guise de conclusion provisoire, on notera que l’un n’empêche pas l’autre et que ce genre d’importation, dans le domaine de la flore et de la faune, n’en est qu’à ses débuts dans le contexte actuel de la mondialisation …