La forêt lorraine a été marquée par les deux guerres mondiales. Elle porte encore les stigmates de terribles batailles. Les arbres ont été mitraillés. Certains ont même fusionné avec des fils de fer barbelés rouillés comme s’ils les avaient nourris de leur sève.
Forêt domaniale et champs de bataille de Verdun (Crédits photo : Wikipédia)
En observant de près leurs troncs, en effleurant leur écorce pour mieux sentir les boursouflures sous ses doigts et explorer les cavités, on ressent intensément la douleur des arbres et de l’Histoire en Lorraine. On s’imagine les explosions incessantes, les cris, le sang et la peine. Les obus ont projeté dans un rayon de 20 à 100 mètres des projectiles qui ont déchiré la chair des hommes et transpercé le bois des arbres. Confrontés depuis des décennies au bois mitraillé, les bûcherons lorrains appellent ces arbres meurtris, qui ont brisé des générations de tronçonneuses, « les gueules cassées de la forêt ». Pendant un quart de siècle, ceux-ci ont en effet extrait des grumes des obus, des balles, des douilles et des fragments de métal tordus, fondus ou rouillés. Si ces stigmates n’ont pas totalement disparu, ils ont cependant considérablement diminué. Le bois mitraillé fut une priorité de l’ONF (Office National des Forêts) jusqu’à la fin des années 1990. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui puisque la majorité des peuplements a été renouvelée. D’ailleurs, le service des bois mitraillés, ouvert en 1979 à Bruyères dans les Vosges, a été fermé en 2004.
Le front de la guerre 1914-1918 s’est étalé en Lorraine d’Ouest en Est sur une bande boisée de 200 km de long et de 30 à 40 km de large. Les forêts qui firent office de zone de camouflage ont été dévastées. Les pluies d’obus ont parfois détruit toute trace de végétation, créant ainsi les zones rouges, dont la plus célèbre est celle de Verdun. Le sol moutonné de ces lieux nus et maudits a été défiguré à jamais par le déluge des bombes et les tranchées partiellement comblées. Dans les années 1920, des épicéas et des pins noirs ont été plantés, ainsi que des hêtres plus récemment.
En Lorraine, les combats de 1939-1945 se sont principalement déroulés sur deux zones forestières, l’une aux frontières de la Ligne Maginot, l’autre à l’Est de la Moselle suite à l’arrêt de l’offensive franco-américaine de septembre à novembre 1944.
Au total, plus de 30 % de la surface forestière lorraine a été touchée. Si les éclats issus de la Première Guerre Mondiale sont assez gros et à bord peu tranchants, ce qui limite le déchiquetage du bois, ceux du second conflit mondial sont plus petits et plus nombreux, à bord très coupant, entraînant ainsi une pourriture interne du bois.
Au-delà de leurs meurtrissures, les forêts lorraines cachent également beaucoup d’ouvrages militaires. Ces derniers se trouvent principalement dans les 6 000 hectares encore gérés par le ministère français de la défense. Cela dit, ce patrimoine devrait à terme tomber dans le domaine civil, une fois la dépollution réalisée.
(Source : RL du 21/03/2014)