Des trains qui roulent à droite, une querelle de clocher, du pain frais tous les jours de la semaine … et comment échapper aux verbalisations pour excès de vitesse : le Droit Local recèle de nombreuses spécificités.
Les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont soumis à un Droit Local particulier, héritage de la première annexion de 1871 à 1918 par l’Empire allemand. Ses dispositions continuent à s’appliquer dans de nombreux domaines (voir : http://blefondation.e-monsite.com/pages/cercle-de-reflexion/droit-local.html).
Le Droit Local réglemente la sonnerie des cloches, comme ici à Vaux (Crédits photo : Groupe BLE Lorraine)
Par exemple, le réseau de chemins de fer d’Alsace et de Moselle reste marqué par une caractéristique concernant le mode d’exploitation des lignes : les trains y roulent à droite et non à gauche comme sur le reste du réseau français. Qu’en est-il pour le TGV-Est ? Le TGV, lorsqu’il se trouve sur la ligne nouvelle à grande vitesse (320 km/h) respecte la gauche, par contre rejoignant les lignes classiques, il respecte le sens de circulation historique et se range à droite comme les autres trains. Le changement de circulation se réalise par le passage « d’un saut-de-mouton » qui permet la modification sans interruption du trafic.
La sonnerie des cloches : ne pas avoir le bourdon.
Plusieurs administrés d’une petite commune de Moselle se sont plaints du bruit occasionné par la sonnerie des cloches de l’église paroissiale. Quelle est la réglementation en vigueur ?
Il faut en fait distinguer deux cas :
- la réglementation de la sonnerie religieuse des cloches (offices, angélus) repose toujours sur l’article 48 des Articles Organiques : « L’évêque se concertera avec le préfet pour régler la manière d’appeler les fidèles au service divin par le son des cloches ». L’arrêté actuel pris par les deux autorités est celui du 29 août 1991. Il est précisé que la sonnerie des cloches des églises sera arrêtée chaque jour à partir de 20 heures jusqu’à 8 heures sauf quelques exceptions.
- la réglementation de la sonnerie civile des cloches, à savoir la sonnerie des heures, est fondée également sur l’article 48 des Articles Organiques : « [...] On ne pourra sonner les cloches pour toute autre cause, sans la permission de la police locale ». C’est donc le maire qui est entièrement libre de maintenir la sonnerie civile des heures. Néanmoins, l’article 3 de l’arrêté de 1991 ajoute que la sonnerie de l’horloge (apposée sur l’édifice cultuel ou sur un monument public) est soumise à la même réglementation, c’est-à-dire arrêtée chaque jour à partir de 20 heures jusqu’à 8 heures, partout où elle est une source de nuisance pour les habitants immédiats. Comment doit être interprétée cette disposition ? Dans une affaire similaire, les autorités administratives donnaient les explications suivantes au maire concerné : « L’article 3 du règlement actuel, relatif à la sonnerie des heures, donne la faculté au maire d’interrompre la sonnerie de nuit. Mais il s’agit là d’une prescription minimale, qui ne saurait avoir pour effet de dépouiller le maire des pouvoirs généraux qu’il tient de l’article 48 de la loi de Germinal. Vous avez donc le pouvoir, si vous l’estimez nécessaire à la tranquillité publique, d’interdire la sonnerie de l’horloge du clocher non seulement de nuit, mais aussi de jour ».
L’ouverture des boulangeries de Moselle 7 jours sur 7 est-elle possible ?
Trouver une baguette de pain frais le dimanche en Moselle ne constitue plus une difficulté et semble bien être dans les habitudes de chacun. Néanmoins, la situation mosellane présente une particularité supplémentaire : elle permet l’ouverture des boulangeries tous les jours de la semaine, dimanche compris. En Droit Local, le principe, pour les activités de fabrication, le dimanche et les jours fériés, est l’interdiction. Le préfet peut cependant déroger à cette règle dans certains cas, notamment pour les activités nécessaires à la satisfaction des besoins de la population présentant un caractère journalier ou particulier. Il ne peut, par contre, imposer un autre jour de fermeture sans excéder ses pouvoirs.
Depuis un arrêté du 25 octobre 1969, l’ouverture des boulangeries du seul département de la Moselle est autorisée les dimanches et les jours fériés. Dans le reste de la France, l’ouverture le dimanche est possible mais la loi prévoit la possibilité pour le préfet d’imposer la fermeture des boulangeries un autre jour de la semaine. Si cette disposition est inapplicable dans le contexte du Droit Local, on remarquera que l’ouverture 7 jours sur 7 des boulangeries de Moselle est souvent réalisée par les exploitations les plus importantes, capables de pratiquer un roulement de personnel.
Comment échapper aux verbalisations pour excès de vitesse sur les routes d’Alsace-Moselle ?
On a beaucoup parlé des contrôles de vitesse illégaux, effectués sur la RN 52 faute d’arrêté préfectoral réduisant la vitesse à 90 km/h. Mais, en Alsace-Moselle, une ancienne disposition de 1887, quelque peu méconnue, permet toujours de contester l’opposabilité des arrêtés de police si certaines formalités ne sont pas respectées, ce qui rend possible notamment l’annulation des verbalisations pour excès de vitesse ! Dans les trois départements de l’Est, une ordonnance ministérielle du 19 décembre 1887 relative à la publicité des arrêtés de police impose des formalités de publicité complémentaires à celle du droit général. Elle dispose qu’une copie de chaque arrêté de police doit être expédiée par le maire ou le préfet au tribunal cantonal (actuellement le Tribunal d’Instance) et au procureur de la république. Le non accomplissement de ces formalités a déjà permis la relaxe d’un prévenu poursuivi pour excès de vitesse.
Bernard ZAHRA, Professeur de Droit en classe préparatoire à l’expertise comptable à Metz, pour le Groupe BLE Lorraine.
M. ZAHRA est l’auteur d’un livre de référence sur les spécificités d’Alsace-Moselle : A la découverte du Droit Local d’Alsace-Moselle (Editions Fensch Vallée).
bloggerslorrainsengages
23 mai, 2013 à 11:22
A l’occasion d’une décision déclarant contraire à la loi fondamentale l’obligation faite aux artisans de s’affilier à l’une des 128 corporations professionnelles existantes en Alsace et en Moselle, le Conseil constitutionnel avait remarqué en novembre dernier qu’aucun des textes du droit allemand maintenus dans ces territoires par la loi du 1er juin 1924 n’avait de valeur au sein de la république française, faute d’avoir été traduit officiellement en français. Ils n’étaient donc pas applicables puisqu’inconstitutionnels, même si certains d’entre eux avaient été traduits et publiés au Bulletin Officiel d’Alsace-Moselle en 1925. En effet, malgré son titre, ce bulletin n’avait aucun statut officiel. Le gouvernement français a par ailleurs découvert que la plupart des textes adoptés par le Reich allemand entre 1871 et 1918 et encore appliqués en Alsace-Moselle ne bénéficiaient que de traductions officieuses et que les tribunaux se référaient à des textes en allemand, quand la constitution prévoit expressément que « la langue de la république est le français ». Or le corpus concerné contient des dispositions aussi importantes que le Code civil local, le règlement du cadastre et l’application du Concordat. C’est la raison pour laquelle un décret publié au Journal Officiel du 15 mai énumère 46 lois, arrêtés, ordonnances et autres règlements datant de l’Annexion. Ces derniers disposent désormais d’une traduction officielle en français qui les rend constitutionnels.