Riche de ses ressources naturelles souterraines, la Lorraine était comme le « far-Est », une terre d’opportunités, d’industrie et d’emplois. Une époque où la sidérurgie était avide de bras. Mangeuse d’hommes aussi. Depuis, la situation a changé. Dans notre région meurtrie, les manèges des Schtroumpfs disparus ont remplacé les cathédrales de feu. Dans ce véritable musée à ciel ouvert de la corrosion, la nature a peu à peu repris ses droits, recouvrant les friches industrielles. A arpenter le terrain, on découvre les chapelles des anciennes entreprises et les châteaux des patrons. La Lorraine n’a pas attendu l’infâme Mittal pour être saignée à blanc. Il est bien loin le Texas lorrain.
S.O.S fantômes dans la vallée de Fensch (Crédits photo : Thomas RIBOULET pour le Groupe BLE Lorraine)
Pourtant, l’usine était le cœur des vallées ouvrières, la raison d’être de la présence de gens de mille nationalités. Désormais, ce n’est plus qu’un grand corps dont on a enlevé le cœur, un esprit vide. Il y a des enfants qui ne savent même pas ce que leur père faisait. Pour eux, il travaillait à l’usine, c’est tout. Si un ouvrier tombé dans le coma il y a cinquante ans se réveillait, il n’aurait qu’une seule hâte : y retourner le plus rapidement possible.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce pays jadis renommé pour sa richesse industrielle ? Ni le fer, ni le charbon, un peu de sidérurgie endormie, du textile, du sel, de la chaussure. Il ne reste que l’ombre et la silhouette bienveillante, parfois inquiétante, de géants métalliques à la carcasse rouillée, de ces monstres qui se sont éteints comme la science a emporté les dragons. Dans une Lorraine orpheline de son passé industriel, certains en traquent encore les fantômes.
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19 juin, 2012 à 22:25
Un silence assourdissant se dégage des bâtiments désaffectés, mangés par la végétation, de ses usines jadis rugissantes. Les archives de ce qu’était la vallée alors animée par les machines et les hommes s’entrechoquent à la réalité. Au milieu des usines en ruine, la détresse touche la grâce. La quête d’un passé rouillé se raconte en Lothringer Platt. On peut aussi parler de Heimwek pour désigner le métal, ses fantômes et son sacrifice.
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24 juin, 2012 à 14:49
La lente évolution d’un paysage et la mutation d’un environnement sont des processus presque imperceptibles qui s’inscrivent dans la durée. Mais si la représentation traditionnelle de la Lorraine, terre d’élection par excellence de l’industrie aux XIXème et XXème siècles, s’effaçait au profit d’images plus poétiques ? Si les outils se muaient en objets, si les ateliers se transformaient en espaces purs et si les matériaux devenaient matières ? L’on devinerait des formes, des couleurs et une esthétique ignorée jusqu’alors. Les paysages d’usines désertes ont toujours été considérés avec révolte, commisération ou intérêt patrimonial. Ne pourrait-on pas adopter un nouveau point de vue sur ce qui nous paraît anodin, indigne d’intérêt, comme un hangar désaffecté, la tour d’une cheminée qui fume, un outil aux couleurs délavées ou un silo à grains ? Le monde industriel, ancien et actuel, se tournerait vers l’art et toucherait la grâce. Les usines sidérurgiques de la « vallée des anges », les vestiges de l’extraction du charbon et du sel, l’architecture avant-gardiste de Bataville, la fabrication du verre, du ciment et du cristal, tout ce qui fut jadis le Far Est, le Texas lorrain et l’emblème d’un miracle économique prendrait un autre sens, une autre dimension.
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21 octobre, 2012 à 16:12
La Lorraine sidérurgique ne doit pas être de l’histoire ancienne. Son avenir s’inscrit dans la production d’acier de qualité à haute valeur ajoutée, autrement dit dans une stratégie de différentiation et de niche. Aujourd’hui, la France ne représente plus que 9 % de la production européenne d’acier et son commerce extérieur est dans ce domaine déficitaire de 61 millions d’euros.
Si l’arrêt définitif des hauts-fourneaux lorrains venait à être confirmé à l’issu de la procédure de recherche de repreneurs potentiels, les Lorrains seraient en droit de réclamer des compensations à l’Etat français. Cela dit, la Lorraine attend toujours la concrétisation des compensations promises suite aux iniques et odieuses restructurations militaires (voir : http://forumdeslorrains.forumactif.com/t444-restructurations-militaires-en-lorraine).
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25 novembre, 2012 à 14:59
Comment se transmet la mémoire ouvrière de la sidérurgie, cette mémoire du fer, celle des enfants et des petits-enfants ? Une telle transmission interroge la question de l’identité. Elle s’intéresse non pas aux machines ou aux vestiges industriels qui disparaissent peu à peu des paysages, mais les hommes. La fierté d’être un fils de sidérurgiste est relative. Elle est liée à l’emprunt ou non de l’ascenseur social, à la possibilité ou non de s’identifier à un groupe, de trouver sa place, une forme de reconnaissance. Le regard des filles, des femmes, n’est pas le même non plus, que celui des garçons, des fils.
La marche florangeoise sur Paris des ArcelorMittal fut à ce titre révélatrice. Trois générations se sont retrouvées au sein de ce mouvement collectif : les trentenaires, les quadragénaires et les quinquagénaires. Si les quadras luttent pour leurs emplois, les plus jeunes viennent au nom des anciens. Le discours change bien entendu selon les générations, selon que le père a quitté les aciéries au milieu des années 1980 ou plus récemment, selon le pays d’origine aussi.
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30 novembre, 2012 à 23:52
Il y a une forme de discrétion et de mémoire lourde en Lorraine. C’est un pays qui a été marqué par des tragédies fracassantes ou plus sourdes. Le fracas, ce sont les guerres. Les douleurs plus lentes, c’est la fin des industries. Tout ça crée une forme d’endurance face à l’adversité. L’inquiétant, c’est de voir aujourd’hui l’évolution des choses, des territoires ouvriers qui basculent dans des idéologies détestables.
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19 décembre, 2012 à 20:27
Il y a d’abord eu la fusion des usines d’Uckange, Saulnes, Rombas, Hayange, ainsi que la cokerie de Sérémange sous Lorfonte. Cela a alors été la mort programmée des sites de Rombas et d’Uckange. L’ensemble est passé directement sous la Sollac. Quand Uckange a fermé en 1991 (voir : http://forumdeslorrains.forumactif.com/t1676-cathedrale-de-feu-a-uckange), le personnel est parti dans des conditions acceptables mais sociologiquement difficiles. Grâce au combat syndical et à la convention générale de protection sociale, les gens sont partis en retraite à 58, puis 55 et 50 ans.
La Solmer, marquée par la construction à la fin des années 1960 d’une immense usine sidérurgique à Fos-sur-Mer, près de Marseille, a été l’un des éléments du déclin de la Lorraine. Contrairement à Dunkerque, il n’y a avait pas là-bas de culture industrielle, encore moins sidérurgique. Une grande partie de la direction et de la maîtrise d’œuvre a donc été constituée par du personnel lorrain. C’est à partir de ce moment-là que la dégradation, psychologique d’abord, puis physique de la Tour des Tilleuls (voir : http://forumdeslorrains.forumactif.com/t1419-renovation-urbaine-a-uckange) a commencé, essentiellement habitée par des agents de maîtrise qui sont partis à Fos-sur-Mer avec famille et bagages.
La minette lorraine, composé à 30 % de fer, a été remplacée par des minerais étrangers, d’une teneur en fer proche de 65 %. Une productivité meilleure à un coût identique, le calcul était simple. La sidérurgie sur l’eau, alimentée par les grands minéraliers, condamnait à plus ou moins long terme les belles installations des hauts-fourneaux de Hayange.
Le site sarrois de Dillinger est cependant un contre-exemple. Il a réussi à surmonter son handicap continental grâce à l’action et à l’engagement du Land de Sarre. Le fédéralisme allemand octroie en effet des compétences beaucoup plus larges aux collectivités. En Belgique, au Luxembourg et en France, Mittal ferme des usines car il n’a pas de contre-pouvoir (voir : http://forumdeslorrains.forumactif.com/t1479-siderurgie-arcelormittal-sacrifie-la-filiere-liquide-lorraine-sur-lautel-des-profits).