L’écart est saisissant mais les chiffres ne parlent que d’eux même. En 2008, l’effectif total de la cokerie de Carling était de 393 salariés. Aujourd’hui, elle risque plus que jamais de fermer. L’immense zone industrielle de Saint-Avold Nord, plus communément appelée Carling, a connu son apogée dans les années 1950. De nos jours, le massif dépressionnaire du Warndt paraît complètement anesthésié par l’avalanche de mauvaises nouvelles qui s’abat sur son bassin d’emplois. Le véritable tsunami social et industriel de la cokerie de Carling ne constitue pas en effet la première tempête traversée par ce bout de Lorraine. En l’espace d’à peine 8 mois, le chômage a été multiplié par deux dans la commune de Carling. Ainsi, sur près de 4 000 habitants, il doit y avoir pas loin de 200 demandeurs d’emplois. Le naufrage de la cokerie, orchestrée par la société actionnaire Rogesa et par les syndicats, ajouterait 400 suppressions d’emploi au bilan désastreux de la plateforme chimique Total-Arkéma. Ces deux entreprises assuraient pourtant encore 1 830 emplois en 2004. En 2012, selon les plans en cours ou annoncés, un millier d’entre eux aura disparu. Un gouffre qui semble sans fin. Et le pire, c’est que ce calcul ne prend même pas en compte les entreprises de sous-traitance directement menacées. Il faut toutefois dire que la fermeture de la cokerie de Carling, qui pourrait encore tourner pendant 20 ans, n’est pas due au hasard. A l’entourloupe de la société sarroise Rogesa, actionnaire principal du site, s’ajoute la démarche et surtout le raisonnement complètement illogique et irrationnel des syndicats, qui refusent éperdument un projet de reprise chinois. Les asiatiques ont certes annoncé qu’ils se décideraient ou non à garder l’usine après un test d’un an d’exploitation. Mais ce que nous ne comprenons pas, c’est que de toute façon quitte à mettre la clé sous la porte, autant tenter le coup, dans l’intérêt des salariés et de la préservation d’un maximum d’emplois.
De même, les élus locaux et les syndicats se plaignent et restent amer vis-à-vis de l’injustice dont est victime la Moselle-Est, quand on sait les millions qui vont être injectés à Molex, afin de redynamiser un site qui perd « à peine » 200 emplois… Nous pouvons aisément comprendre le désarroi qu’exprime ce traitement à deux vitesses. Mais que voulez-vous, après les différents conflits sociaux ayant émaillé notre belle province dans un climat post-sidérurgique, en Lorraine, les travailleurs et les décideurs ont désormais appris à gérer tout cela dans le respect de certains codes éthiques et de valeurs, enfin surtout pour les premiers qui se font à chaque fois berner ou presque, c’est-à-dire dans un contexte social relativement apaisé, sans avoir besoin de menacer de faire tous sauter à coup de bonbonnes de gaz comme ces barbares. En Lorraine, on a le respect du travail et c’est justement cela qui fait que nous nous faisons à chaque fois « baiser ». Trop gentils, trop bons, … trop cons. Si bien que les décideurs ne se retrouvent pas dans leur dernier retranchement, se disent que nous autres Lorrains, de toute manière on ne dira rien. Dès lors, ils estiment qu’ils pourront faire passer tout ce qu’ils veulent : plans sociaux, restructurations militaires… Il n’y aura strictement aucune opposition, ni la moindre résistance en face. Cela, nous ne pouvons l’accepter.
Néanmoins, ce qui est peut-être le plus dur à supporter, au-delà de devoir perdre son travail, c’est cette indifférence générale. C’est vrai au fond, on a souvent l’impression que la population n’a absolument pas pris la mesure de l’ampleur de la catastrophe, de toute la souffrance qui règne en Lorraine. Il semble n’y avoir aucune mobilisation. Toujours est-il qu’en attendant, le traditionnel cercle vicieux se met en place avec toutes les retombées que cela peut avoir : baisses d’effectifs dans les écoles, services et commerces menacés… Le moral des gens est ainsi affecté. Le massif dépressionnaire du Warndt n’aura jamais aussi bien porté son nom. A défaut d’un plan de revitalisation qui ne viendra sans doute jamais de la part du gouvernement français, les 70 à 100 emplois promis par le futur Composites Park, sur l’ancien site minier De Vernejoul à Porcelette, ne suffiront pas à panser la plaie.