Le mercredi 15 juillet vers 15h l’explosion du vapocraqueur numéro 1, véritable centre névralgique de la plateforme pétrochimique de Total à Carling-Saint-Avold, classée Seveso 2, a fait deux morts et 6 blessés. Une cellule psychologique a été mise en place afin d’accompagner les salariés traumatisés. La déflagration fut telle qu’elle a été entendue jusque dans les communes avoisinantes comme L’Hôpital. On sait que l’explosion s’est produite au niveau du surchauffeur, qui n’est autre qu’une longue cheminée chargée de surchauffer la vapeur, qui sert ensuite à alimenter les fours de craquage du vapocraqueur. Ce dernier a pour but de « craquer » le naphta, produit obtenu à partir de pétrole brut raffiné, en divers dérivés pétrochimiques, à savoir, éthylène, propylène, méthane ou encore styrène. C’est en fait un énorme four qui permet de casser le naphta en molécules plus petites, après que celui-ci ait été mélangé avec de la vapeur d’eau. Il est ensuite amené à près de 800°C par un passage très bref, d’environ une seconde, dans un surchauffeur qui va donc casser les molécules. Le mélange est alors brutalement refroidi afin de stopper la réaction et d’obtenir les composés désirés. Ces derniers constituent la matière première des autres installations du site, en particulier pour ce qui est de la fabrication des matières plastiques comme le polyéthylène ou le polystyrène. Ces produits sont enfin commercialisés sous forme de granulés. Le vapocraqueur n°1, le seul encore en service sur le site industriel mosellan, puisque le second est en cours de démantèlement, était en phase de redémarrage. Il avait en effet été mis en veille quelques jours plus tôt en raison d’un incident électrique dû à un orage.
Le bilan meurtrier de cette catastrophe fait de cette dernière la plus grave depuis ces 20 dernières années qui soit survenue sur la plateforme pétrochimique lorraine. Elle intervient d’ailleurs au plus mauvais, dans la mesure où le site industriel déjà fortement fragilisé, fait l’objet de plusieurs plans sociaux chez Total Petrochimicals comme chez Arkema, l’autre grand chimiste de Carling, dont les installations n’ont pas souffert de l’explosion. En effet, ce ne sont pas moins de 4 plans de restructurations qui se sont succédés sur ce site industriel majeur de Moselle-Est depuis 2006, faisant fondre les effectifs comme neige au soleil. Ces derniers vont ainsi être divisés par 2 entre 2006 et 2013. La plateforme qui comptait encore plus de 1 700 salariés en 2006, n’en disposera plus que de 850 en 2013. Celle-ci est victime de la stratégie des grands groupes industriels qui préfèrent privilégier les sites intégrés avec raffinerie ou bien des sites de production au Moyen-Orient ou en Asie. La plateforme de Carling fabrique quant à elle des matières plastiques à partir d’hydrocarbures depuis plus de 55 ans.
Aujourd’hui, l’accident fait de plus en plus polémique, car il apparaît qu’il aurait pu être évité si le vapocraqueur numéro 1 avait été équipé d’un redémarrage automatique, élément dont disposait le vapocraqueur n°2, qui vient pourtant d’être fermé. Par conséquent, le vapocraqueur n°1, faute de ce dispositif, devait être redémarré manuellement, ce qui signifie que les opérateurs devaient s’approcher au plus près du four. Il n’y aura pas de remise en service du vapocraqueur n°1, qui a été sérieusement endommagé par le souffle de l’explosion, avant que toutes les causes du sinistre n’aient été éclaircies. L’explosion a ainsi provoqué la chute du four et déstabilisé l’infrastructure de l’installation, sans toutefois provoquer d’incendie. Rappelons que le vapocraqueur avait été arrêté en raison des violents orages et des pluies diluviennes qui s’étaient abattus le Pays Narborien. Un problème électrique était alors survenu et l’installation avait été stoppée. Mais il semble indéniable à l’heure actuelle que les intempéries ne soient pas directement à l’origine de l’accident. Selon un ouvrier, il y aurait eu accumulation de gaz, dans la mesure où le surchauffeur s’est éventré en plein milieu. Une piste d’explication ? Deux syndicats présents sur le site industriel ont enfin révélé qu’une première tentative de redémarrage de l’équipement et de son surchauffeur avait déjà échoué la veille du drame, soit le mardi 14 juillet dans l’après-midi. Une équipe d’opérateurs avait alors tenté d’allumer le surchauffeur, mais la manœuvre n’avait pas fonctionné. De même, le mercredi 15 juillet au matin, une autre équipe aurait encore répété la manœuvre pour rallumer les installations, en vain.
Le patron du groupe Total, Christophe de Margerie a d’ores et déjà indiqué que le vapocraqueur sera réparé et remis en route dès que l’enquête sur l’accident le permettrait. Il a en outre assuré que le groupe accorderait une vigilance accrue aux surchauffeurs dans ses usines pétrochimiques du monde entier tant qu’on ne connaîtrait pas les causes de l’explosion à Carling. La moindre des choses.
Les syndicats commencent désormais à monter au créneau. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à déclarer que l’impact des plans successifs, qui entraînent d’importants mouvements d’effectifs et que toutes les réorganisations opérées sur le site de Carling ne sont pas entièrement étrangers au drame du 15 juillet 2009. Et de poser la terrible question : « La compétitivité a certainement un coût humain. Cet accident en fait-il partie ? » Toujours est-il que le fait de réduire inexorablement les effectifs doit avoir une incidence sur l’entretien et la sécurité des équipements. A noter que Carling est une plateforme pétrochimique intégrée dont le cœur est le vapocraqueur. Le n°1, qui a plus de 40 ans et où travaillent près de 100 ouvriers, peut traiter quelques 320 000 tonnes d’éthylène par an. Il est géré par Total Petrochemicals France (TPF), filiale chimique du groupe pétrolier français, et fournit notamment la filière PVC du groupe chimique Arkema, située également sur la plateforme de Carling, ainsi que l’usine Ineos de Sarralbe. Si aujourd’hui il apparaît que l’activité de transformation de cette dernière ne sera pas immédiatement affectée par ce drame, la filière acrylique d’Arkema devra quant à elle recourir à un approvisionnement en propylène par d’autres moyens logistiques. En effet, chez Ineos, même si Carling est bien la principale source d’approvisionnement en oléfine, autrement dit en polyéthylène et en polypropylène, l’établissement n’a pas besoin du vapocraqueur n°1 pour fonctionner, dans la mesure où il peut recevoir de l’éthylène depuis d’autres complexes par le biais du pipeline qui le relie à Carling. En ces temps de crise économique, les salariés de Sarralbe ne veulent pas que cet accident serve désormais de prétexte à Total pour mettre en difficulté d’approvisionnement leur usine, alors que les relations entre les deux sociétés s’étaient récemment améliorées. Pour comprendre leurs inquiétudes, il faut avoir en tête le projet de pipeline entre Carling et Ludwigshafen en Allemagne. A moyen terme, cette solution permettrait en effet d’approvisionner Ineos en éthylène. Le futur pipeline, qui serait aussi dimensionné pour transporter du propylène, deviendrait ainsi un atout logistique digne d’une grande plateforme pétrochimique comme celle de Carling-Saint-Avold. Mais un tel projet structurant ne doit en aucune mesure servir d’argument pour précipiter la fin de l’unique vapocraqueur aujourd’hui endommagé.
Enfin, pour conclure notre exposé, notons que l’explosion a bien entendue été ressentie jusque dans la commune frontalière sarroise de Lauterbach et que les colonnes de fumée rougeâtres ont inquiété la population jusqu’à Völlklingen. Pourtant, chose grave et peut-être à l’origine d’un incident diplomatique, aucune annonce officielle n’a été communiquée à nos amis sarrois, comme le prévoit normalement le dispositif d’information transfrontalière en temps réel. Inquiétant. (Source : presse régionale)